Pancakes !

Il y a quelques semaines, alors que je m'apprêtais à voir les lacs du Connemara en compagnie de Biou, un débat sur twitter est venu agrémenter mon petit déjeuner à base de bacon-oeuf-saucisse-tomate, mais ce petit-déjeuner n'a rien à voir avec ce dont je vais vous parler. Aujourd'hui on va parler de comment les web/UX designers sont perçus et de quelques idées reçues.

En général, quand je dis aux gens que je suis UX designer, trois cas se présentent :

  • Ils savent ce que c'est, ont déjà bossé avec des gens comme moi ou font le même métier.
  • Ils n'y connaissent rien, ne savent pas qu'il y a des gens derrière les applis et sites webs qu'ils utilisent et me parlent de Minority Report quand je prononce le mot « interface ».
  • Ils pensent qu'on rend les sites beaux et nous imaginent en train de jouer avec des crayons gras devant Photoshop.

Bon, je caricature un peu, mais dans 2 cas sur 3, ces personnes croient réellement que nous sommes des artistes. Je leur réponds toujours que non, nous sommes des scientifiques.

Laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Commençons par regarder un peu sur Wikipedia :

L'Unesco a proposé une définition ouverte, déterminée par la conscience individuelle, dans sa Recommandation relative à la condition de l'artiste (adoptée à Belgrade, le 27 octobre 1980) :

« On entend par artiste toute personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d'œuvres d'art, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui, ainsi, contribue au développement de l'art et de la culture, qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit liée ou non par une relation de travail ou d'association quelconque. »

Vous imaginez bien que le design d'une boutique qui vend des slips ou d'une application pour localiser des burgers n'est pas un élément essentiel de nos vies, qu'à priori ces designs ne contribuent pas non plus au développement de l'art et de la culture, et qu'on n’a pas vraiment l'intention de considérer ce livrable comme une œuvre d'art, même si on a bossé comme des fous sur ce projet et donné tout ce qu’on pouvait. 

Non, on a juste répondu à un besoin, en se basant sur des méthodes scientifiques.

On aura passé du temps sur la phase de recherche, créé des personas (dont un qui s'appelle Jean-Christian Ranu), rédigé des cas d’utilisations, défini des récits utilisateurs, recouvert des tables entières de post-its lors de divers tris de cartes pour organiser les contenus, basé notre maquette sur des critères ergonomiques et suivi des bonnes pratiques, fait des tests utilisateurs pour valider une hypothèse bien précise correspondant au besoin, tout en faisant preuve de créativité pour répondre à tous les problèmes posés au passage.

Bon, il arrive parfois que certains sites web finissent vaguement par ressembler à des œuvres d’art, mais malheureusement l’ergonomie finit par disparaître au profit d’une « expérience artistique » et on s’écarte bien souvent du but original du site : informer le visiteur de manière simple, sans le faire vomir dans un seau s’il n’a pas un écran 27 pouces et qu’il a le malheur d’utiliser Firefox.

J'ai passé quatre années à suivre des cours du soir à l'ESAL, pour le fun, pour la curiosité et pour apprendre à faire des trucs avec mes mains (vous venez de visiter leur site si vous avez cliqué sur le dernier lien et vomi dans un seau). La chose principale que j'ai retenue, c'est qu'il faut mettre un maximum de soi dans chaque œuvre d’art : le but n'est pas forcément de faire quelque chose de beau, il faut faire quelque chose de juste, qui créera une émotion chez la personne qui sera face à votre oeuvre. 

Bon je sais bien que c'est un peu rapide pour décrire ce que l'on doit faire en tant qu'artiste, mais ce qui est certain, c'est que lors du design d'un site ou d'une app, je ne mets pas de « moi » à l'intérieur de cette création. Je cherche à inclure au maximum l'utilisateur, qu'il soit réel et rencontré, ou potentiel sous forme de persona. Là, je vous parle en tant que UX designer, mais les designers UI ou web ne font pas non plus ce qui leur chante, selon l’inspiration du jour ou leurs tourments intérieurs : entre la création de l’identité du produit, de la charte graphique, des guides de styles, des bonnes pratiques pour optimiser la lisibilité  et l’accès à l’information sur tous les supports possibles pour que le design en devienne presque invisible.

Évidemment, il y a aussi l’aspect émotionnel et hédonique (expliqué par Carine Lallemand dans son article sur le modèle de l’UX d’Hassenzahi), mais ça n’a rien de comparable avec une œuvre d’art. Dans l’UX, on essaye de provoquer une émotion (ex: satisfaction) afin d’influencer le comportement de l'utilisateur : on appelle ça l’emotional design.

Les designers et les artistes utilisent parfois des outils et moyens similaires, mais le but de leurs créations est différent : servir un produit pour le premier, s'exprimer, choquer, provoquer une émotion (et bien d’autres buts encore) pour le second.

Les phrases chocs

Ah, ces bonnes idées reçues cachées dans des phrases choc. On les a déjà entendues des milliers de fois, alors je vais y répondre, avec quelques Gifs animés en cadeaux.

« Les créatifs sont des artistes. »

Sérieusement ? Vous croyez vraiment que découvrir un vaccin, inventer un smartphone, construire une fusée, tout ça se fait sans créativité ? C'est peut-être à cause de cette idée reçue, que les designers finissent dans la case « artiste » dans la tête des gens. Si on en croit Wikipedia

« La créativité décrit — de façon générale — la capacité d'un individu ou d'un groupe à imaginer ou construire et mettre en œuvre un concept neuf, un objet nouveau ou à découvrir une solution originale à un problème.

Vous voyez, on cherche des solutions à des problèmes donnés. C'est un peu notre quotidien, quand on est designer, contrairement à un artiste qui n’aura pas la même démarche, qui utilisera la créativité pour perfectionner ses œuvres.

Ok, les artistes sont créatifs, mais les créatifs ne sont pas tous les artistes.

La créativité n’est pas un effet de bord de l’artiste, et vous savez quoi ? Ce n’est pas inné non plus, ça se travaille, ça se développe !

« Mais arrêtez de vous dévaloriser ! »

Alors ça, ça me rend folle. En quoi la science serait inférieure à l'art ? Sortez une copie, vous avez deux heures. 

En fait, si on refuse cette classification, ce n’est pas pour jouer les modestes, c'est parce que nous ne sommes tout simplement PAS des artistes. Parce que si vous avez le malheur de croire ça, vous allez nous sortir cette phrase magique…

« À toi de jouer, l'artiste, tu as carte blanche ! »

Cette phrase, vous l'avez forcément prononcée ou entendue un jour. C'est la petite phrase  qu'on nous sort en espérant nous faire un compliment et s'en tirer tranquillement sans nous faire un brief correct ou nous donner un cahier des charges digne de ce nom.

Je l'ai déjà dit, pour tout problème il y a une solution. 

Si on n’a pas la moindre idée de votre problème, de vos contraintes ou même de ce que vous voulez, comment voulez-vous obtenir un livrable correct ? 

Pour résumer, nous ne sommes pas des artistes, et nous ne sommes pas des télépathes non plus. La « carte blanche », c'est 99% de chances de vous retrouver avec quelque chose que vous n'avez pas demandé et qui n'a rien à voir avec votre besoin, alors pitié, ne dites plus ça !

« Oui mais il faut quand même un peu de culture artistique pour faire ce métier. »

Personnellement, je ne pense pas que ce soit indispensable, mais ça peut parfois aider, pour argumenter, ou juste pour avoir l’air moins con pendant une partie de Trivial Pursuit™. Après, une culture graphique est vraiment importante, mais comme pour tout métier, c'est indispensable de savoir de quoi on parle et ce que l'on utilise.

« Mais ça devrait vous faire plaisir, acceptez les compliments ! »

La plupart des gens adorent les compliments. Regardez, par exemple, je fais de super pancakes. J’adore quand mes copains me disent que mes pancakes sont trop bons. Mais ça n’a strictement rien à voir avec mon métier, et on en parle JAMAIS pendant un brief ou une réunion de validation.

Donc même si on fait des trucs artistiques dans notre temps libre, ou même des pancakes, pitié, arrêtez de nous dire qu’on est des artistes quand vous travaillez avec nous.

Conclusion (TL;DR)

Les web/UX designers ne sont pas des artistes. Pitié, arrêtez de nous considérer comme tels, ça nous fatigue ! Nous sommes des scientifiques. 

Et sinon, je fais de super pancakes.

ps: un merci infini à Biou et Marie Guillaumet pour la relecture de cet article et leurs bons conseils !